Mon
enfance violée
Nous
sommes en août 1967, mes petits
frères ont vu le jour le mois précédent, mes grands-parents maternels m’ont
amenée dans le Doubs, chez ma tante.
… j’ai 9 ans, il fait beau dehors, l’on
décide pour moi que je dois sortir et mon grand-père propose de m’accompagner
pour une petite promenade.
Nous
allons marcher dans les
collines avoisinantes. C’est rigolo, je tiens la main de «pépère» et je lui raconte
mes anecdotes de gamine car je suis en confiance Tout à fait par hasard nous trouvons
une petite cabane en bois et y entrons pour nous reposer.
Elle est
jolie cette cabane, moi j’habite en ville, en région parisienne, je n’en ai
jamais vue ! on s’assoit à même le sol, et on continue de papoter de tout, de
rien. Curieusement mon grand-père touche souvent sa braguette et il me dit
qu’elle le gêne. Il l’ouvre et bien sûr je regarde. Etonnée et curieuse tout de
même car je n’ai jamais vu mes parents en sous vêtement « ça ne se fait
pas ».
Il me
demande : «t’as déjà vu un zizi de garçon ? » «Ben non, je n’en
ai jamais vu !»
Sans
parole il baisse son pantalon et je vois alors cette chose inconnue qui
ressemble à un gros vers, ça a l’air tout mou. Je regarde, c’est étrange, ce
n’est pas comme moi !
Toujours
sans parler il prend ma main et la pose sur son sexe qui à ce moment-là grandit,
se raidit. Je ne dis rien, enlève ma main. Il n’insiste pas et me dit :
«il devient dur parce qu’il aime bien qu’on le caresse ». Il effectue des
va-et-vient avec sa main autour de son zizi, je regarde, j’écoute aussi car sa
respiration change, il se met à gémir et je vois un liquide jaillir … je suis
médusée, ne comprends pas.
Il
s’essuie avec son mouchoir, remonte son pantalon, me regarde et sourit.
Nous
sortons de la cabane pour retourner chez ma tante. Sur le chemin il me dit, très
gentiment : « tu sais ce que tu as vu c’est un secret entre nous, il
ne faut le dire à personne ! Tu me le promets ? » Et je promets
… Un secret avec mon grand-père c’est beau !
Nous
retrouvons la famille et tout se déroule comme si je n’avais rien vu. Je ne dis
rien, c’est un secret et je le garde précieusement, j’ai promis !!!
Le
lendemain à nouveau nous allons nous promener. Nous allons directement dans la
cabane. Comme la veille il baisse son pantalon. Mais il me demande de prendre
son zizi dans mes mains « pour le faire grossir ». Ça me dérange un
peu mais je le fais quand même. Je ne sais comment agir alors il guide mes
gestes, me dit ce qu’il faut faire et je m’exécute …. Je ne comprends toujours
pas, lui demande pourquoi « ça coule », pourquoi il est essoufflé, je
m’inquiète aussi car je pense qu’il doit souffrir.
Il me
répond que non, ça fait pas mal, que, bien au contraire c’est très agréable,
que tout le monde fait ça, aime ça, et que moi aussi j’aimerais ça si je me le
faisais. Je rigole et lui dis « mais moi j’ai pas de zizi !!! ».
il me répond que si, j’en ai un, pas comme le sien, qu’il est caché et me dit
« tu veux que je te fasse voir ? »
Je me
rappelle avoir hésité et accepté. Il m’a enlevé ma petite culotte et a posé sa
main sur mon tout petit sexe. Je l’ai repoussé, il n’a pas insisté, m’a dit
« je t’apprendrai ». Et nous sommes rentrés chez ma tante sans qu’il
n’oublie sur le chemin de me rappeler que nous avions un secret.
La soirée
s’est déroulée normalement.
Et nous
sommes encore allés à la cabane. Je savais ce qui allait se passer et ça ne me
dérangeait pas. Je pense même que j’étais curieuse et j’y allais, un peu comme
si j’attendais la suite, la suite de ce secret …
La 3ème fois
a été différente car il a d’abord enlevé ma petite culotte, prétextant qu’il
allait m’expliquer ce que l’on pouvait faire avec des zizis. Il s’est
« occupé » de mon clitoris, sans grand effet pour moi mais avec
cependant une sensation étrange. Ensuite il a voulu que « je lui fasse
plaisir » et je l’ai satisfait avec mes mains d’enfant…
A chaque
« promenade » il m’expliquait la sexualité, je ne comprenais pas
grand-chose mais j’écoutais et avec
l’innocence de mes 9 ans je posais des questions.
Les
vacances ont pris fin, j’ai retrouvé mes parents et rencontré mes petits frères
que je ne connaissais pas.
Ma vie a
poursuivi son cours. Je ne pensais même plus aux vacances.
Je me suis
sentie différente des autres lors de la rentrée des classes, sans savoir
pourquoi.
J’avais
besoin de solitude. Je rentrais de l’école souvent seule, prenais mon goûter,
faisais mes devoirs, assistais au bain de mes frères, à leur prise de biberon …
une vie normale.
Une vie
normale jusqu’à ce que mon grand-père, en accord avec mes parents, vienne me
chercher pour m’emmener à la piscine durant les vacances de la Toussaint. Le
secret a ressurgi de ma mémoire !
Là, plus
de cabane, seulement sa voiture. Il se montrait de plus en plus insistant sur
le fait de vouloir toucher mon sexe. Je n’étais pas d’accord, le lui disais et
il me répondait inlassablement, tu vas voir, ça va te faire du bien.
Il a
continué à venir me chercher, de plus en plus régulièrement. Effectivement nous
allions bien à la piscine mais pas directement, il trouvait toujours un endroit
où garer sa voiture…
Le temps
passait, mon corps changeait, la puberté s’installait.
J’ai fini
par accepter ses attouchements qui, étrangement, m’apportaient des sensations
plaisantes.
Il se
montrait « gentil », me faisait des petits cadeaux, certains cachés d’autres
plus voyants tels que des accessoires pour la danse. Il m’a aussi donné
« des cours d’éducation sexuelle ». J’ai beaucoup appris …
Sont
arrivées les vacances de printemps durant lesquelles je me suis retrouvée à coucher
chez mes grands-parents. Je dormais à côté de mon grand-père, sur un divan, ma
grand-mère occupait bien évidemment sa place dans le lit conjugal.
Je ne me
souviens pas du jour et pourtant je ne l’oublierai jamais ! Ma grand-mère
sort de la chambre afin de se préparer pour aller travailler, me disant : « reste
au lit, il est trop tôt pour te lever ». J’obéis, me rendors pour être
réveillée par mon grand-père en pleine forme ! Il me demande de le
rejoindre dans le lit, ce que je fais.
Le rituel
commence mais cette fois-ci il met sa bouche sur mon sexe, je ne veux pas,
essaie de le repousser mais je ne peux pas, il est trop fort alors je le laisse
faire.
Puis il
s’allonge au-dessus de moi et arrive cette douleur fulgurante que je ne pouvais
imaginer, j’ai l’impression qu’il déchire mon zizi. Je pleure, je crie, le
supplie d’arrêter, de se retirer mais rien n’y fait, il va au bout de son
plaisir, j’ai de la chance c’est rapide ! Il se retire rapidement.
Moi je ne
comprends pas pourquoi il m’a fait mal comme ça, je ne comprends pas pourquoi,
quand je le lui ai demandé, il n’a pas arrêté de me blesser. Je suis anéantie, stupéfaite, meurtrie, je
souffre … je n’ai pas 10 ans !!!
Je n’ose
pas bouger, j’ai peur qu’il recommence, je l’entends respirer à côté de moi.
Puis il me
dit : « maintenant tu es une femme »
Je pleure,
je ne peux pas arrêter de pleurer … je ne pleure plus de douleur, je pleure car
je viens de comprendre que cela va durer longtemps … parce que nous avons un
secret … parce que si je raconte ce qu’il me fait, jamais personne ne me croira
… lui c’est une grande personne et on croit toujours les grandes
personnes !
6 mois après, j’ai mes règles, mes seins ont
poussé et des poils apparaissent sur mon pubis, sous mes aisselles aussi.
Deux
années vont s’écouler. Je subis, ne parle à personne de ce que je vis. Chose
étrange, lorsque je ne vois pas mon grand-père je ne pense pas à ce qu’il me
fait.
Il
continue de me violer, je continue de me taire … Parallèlement je commence à comprendre que je
subis un crime permanent et que je devrais certainement en parler mais comment,
à qui ?
Je ne
trouve pas de réponse. De plus je suis devenue une petite fille rebelle,
insolente, celle dont on dit : elle n’écoute rien !!!
Le dimanche 17 mai 1970 (j’ai 12 ans) mon
grand-père dit à mon père que je lui vole de l’argent, ce qui est vrai. Ce
dernier, furieux monte dans ma chambre. J’avoue les faits et lui dit « si
j’ai volé j’ai mes raisons » et je lui explique ce que je subis depuis mes
9 ans. Mon père est abasourdi, il peine à me croire. J’insiste, lui donne
certains détails mais ne parle pas des pénétrations. Il a le visage décomposé.
Avant de sortir de ma chambre il me demande : « tu es sûre de toi,
parce que c’est très grave » Je confirme mes dires, le vois fermer ma
porte, l’entends descendre l’escalier.
Je
m’attends au pire, que mon père démolisse l’ordure qui abuse de moi depuis 3
ans, qu’il le jette dehors, que ma mère pleure, que des cris retentissent.
Mais rien,
je n’entends rien. Alors je reste dans ma chambre, je mets de la musique pour
masquer ce silence insupportable.
Puis on
m’appelle afin que je vienne diner. La peur au ventre je descends les marches,
c’est interminable un étage !!!
Et il ne
se passe rien, le repas se déroule dans la bonne humeur, ça parle, ça
plaisante, comme d’habitude. Je suis la seule à demeurer silencieuse. Je
réalise que tout est normal, y compris ce que je viens de raconter à mon père.
Pire
encore, mes parents acceptent que je parte en vacances avec mon bourreau qui
accompagne les jeunes en difficulté une première fois à Valloire (où je fais du
ski) durant une semaine, une seconde fois à Vittel, toujours en accompagnement
de ces jeunes en difficulté, pour un week-end prolongé.
Bien
évidemment au cours de ces séjours je subissais les mêmes sévices, toujours
sans rien dire puisque c’était normal. Tellement normal que même ma grand-mère
paternelle me demandait, alors que l’ordure me déposait chez elle :
« il t’a encore touchée ce gros salaud ? »
Je ne sais
pas comment elle était au courant, je n’ai pas souvenir de le lui avoir dit …
Mais elle aussi savait et tout comme mon père elle ne disait ni ne faisait rien
pour me venir en aide.
C’est
étrange parce qu’à l’époque je ne me suis jamais demandé pourquoi ILS le laissaient
faire.
A 14 ans j’ai fait une tentative de suicide au
collège, je me suis ouvert les veines. Je me rappelle fort bien avoir expliqué
à l’infirmière dudit collège que je subissais des viols à répétitions depuis l’âge
de 9 ans. Mes parents ont été convoqués, seul mon père s’est rendu à la
convocation. Je ne sais pas ce qui a été dit mais cette tentative de suicide
n’a plus jamais été évoquée. Le silence s’est imposé, une fois de plus, après
que j’ai parlé.
Je ne sais
pas ce que j’en ai pensé.
A 15 ans je parviens à lui dire non, à lui dire
que plus jamais il ne me touchera et effectivement tout s’est arrêté, sans que
jamais la moindre allusion ne soit faite sur mon calvaire.
J’ai dit
non mais n’ai rien révélé à qui que ce soit de mon vécu, non pas par honte car
je n’ai jamais eu honte d’avoir été violée, plus simplement parce j’avais
constaté que cela ne servait à rien de dire.
Je
réalise aujourd’hui que fort heureusement jamais mon grand-père ne m’a
embrassée sur la bouche, jamais il n’a caressé mon corps hormis mon sexe. De
même, une fois son plaisir obtenu il se retirait promptement et s’écartait de
moi. Il a fracassé mon innocence, m’a volé la découverte de mon corps mais j’ai
pu connaître sans lui tout ce qui a lien au désir.
Quelques
jours après avoir DIT NON j’ai demandé à mon ex petit ami de me faire l’amour. Je le connaissais
depuis 2 ans, fleurtais de temps à autres avec lui. Il
était toujours tendre, gentil, respectueux de mes refus lorsqu’il tentait de me
caresser plus intimement. J’avais confiance en lui.
Il a été
surpris de ma demande, l’a acceptée et nous avons fixé une date pour
l’accomplissement.
Je me suis
rendue à son domicile et me suis retrouvée dans un conte de fée : des
pétales de roses jonchaient le sol, de l’encens se consumait, des coussins
étaient disposés sur le lit et il avait préparé du thé, avec des petits gâteaux
...
Nous avons
maladroitement fait l’amour et j’ai découvert mon corps, sans orgasme mais avec
plaisir et douceur et surtout sans douleur ! Aucune ombre au tableau, même
quand il m’a fait remarquer, tout en caressant ma joue, que je n’avais pas
saigné. Je lui ai souri, n’ai rien dit … Je savais qu’il savait, un peu …
Ce jour-là nous avons réparé, en partie, mon
corps !!!
J’ai
commencé à vivre, à peu près normalement. Je revoyais parfois certaines scènes
mais je ne me sentais pas perturbée. Je me rendais chez mes grands-parents
comme si rien n’avait existé. Je subissais une amnésie permanente entrecoupée
de souvenirs ponctuels que j’effaçais vite.
Je
constatais avec tristesse que mon père attachait beaucoup d’importance au
paraître : il me faisait vite rentrer à la maison alors que je discutais
avec un copain à la vue des voisins. « Ne t’affiche pas comme ça, que vont
penser les gens ? »
« Une
fille ne sort pas le soir, ça ne se fait pas, que vont penser les gens ? »
Et moi de hurler : « mais je m’en fous de ce que pensent les
gens !!! »
J’étais en
conflit permanent avec mon père, probablement parce mon subconscient savait
qu’il est doté d’une fierté aussi forte que sa lâcheté … mais je ne l’admettais
pas, c’était mon père !!!
Lorsque
les souvenirs surgissaient, je n’en avais pas conscience à l’époque, je
réagissais en me révoltant contre tout ce que l’on m’imposait. J’ai fugué
quelques jours, plusieurs fois, me suis enivrée à ne plus tenir debout
(heureusement je n’aime pas l’alcool), fumé des joints, je n’allais plus en
cours … j’ai fait des bêtises mais j‘ai toujours respecté mon corps !!! Il
avait été tellement sali …
Durant
tout ce temps je continue à me taire, ne dis à personne l’horreur que j’ai
connue.
Le 16 mai 1976, je fête mes 18 ans avec mes
parents, en toute simplicité. Au cours du dîner, comme d’habitude la discussion
entre mon père et moi s’envenime et il en arrive à me traiter de putain car il
pensait, à tort, que je menais une vie dissolue. Un flash de souvenirs surgit
et je lui réponds que si je suis une putain c’est que j’ai été à bonne
école ! il ne s’est pas contenu, m’a ruée de coups tellement violents que
ma mère a dû s’interposer entre nous.
Il est 22
heures, je sors de la maison et pars seule, à pied, dans la nuit. La gare est à
4 km, je vais prendre le train pour me rendre à Paris où j’ai de nombreux amis.
L’on m’héberge rue d’Aboukir, tout près de la rue Saint Denis.
D’un
milieu aisé je passe au monde de la débrouille. Je m’y sens bien car je me sens
aimée. C’est la période « baba cool ».
La serrure
n’est jamais fermée à clé, vient qui veut. On travaille quand il faut, comme on
trouve … mais tout le monde participe à tout, l’appartement est propre, nous
aussi. Il n’y a qu’une seule règle : le
respect de l’autre
Je n’ai
toujours rien dit de mon passé jusqu’à cette nuit où j’expérimente la cocaïne.
Loin de moi l’idée d’en faire l’apologie mais elle m’a permis de parler … de raconter
ces attouchements (je ne parle pas de viol) et leurs conséquences, de dire les
silences.
Une fois
les effets du produit dissipés j’ai continué à parler encore et encore.
Je quitte
ce groupe gentiment car je me rends compte que je glisse vers l’addiction aux
drogues dures et je veux vivre !!! je ne regrette pas ce passage car il a
libéré ma parole, enfin presque …
En 1978, j’ai 20 ans je révèle
au papa de ma fille les attouchements (j’omets volontairement les viols) dont
j’ai été victime. Il se montre compatissant …
Durant
quelques années je vis, à peu près comme tout le monde jusqu’à ce que mon
bourreau décède. Je crois que c’était début
1984. Je me suis rendue à ses funérailles, j’ai beaucoup pleuré, de rage,
car en partant ainsi il emmène avec lui tout espoir pour moi d’être reconnue
comme victime. Jamais la vérité ne sera dite. J’ai attendu d’être seule et j’ai
craché sur sa tombe.
Je
continue de vivre, plutôt bien, souvent, et mal, parfois, mais une petite voix
me dit que je vais exploser un jour … Je ne sais pas pourquoi ni quand mais je
le sais …
Je détruis
le bonheur, je me détruis aussi par là-même car faire du mal m’est
insupportable.
J’ai un
esprit ouvert alors je tente des psychothérapies, qui n’aboutissent pas car je
ne suis pas encore prête.
Il m’arrive de parler des abus que j’ai subis.
Je ne cherche pas particulièrement à dire mais je peux le dire.
Mais je ne peux toujours pas répondre à la
question : « pourquoi n’en as-tu pas parlé ? »
En novembre 1998 la petite
voix me parle et je décide de consulter un psychiatre trouvé au hasard des
pages jaunes. J’ai vraiment tout pour être heureuse : deux enfants
merveilleux et je me marie dans un mois avec l’homme que j’aime.
La
thérapie commence, mouvementée souvent car mon thérapeute me bouscule, fait
remonter à la surface des souvenirs dont je ne soupçonnais pas l’existence. Je
suis d’une franchise totale mais il va me falloir 2 ans avant que je révèle les
abus dont j’ai été victime et encore je tais les pénétrations, je raconte
seulement les attouchements.
S’ensuit
une analyse qui va durer 5 ans … et je vais comprendre que ma colère est principalement
dirigée à l’encontre de mon père. Ce père qui a fuit ses responsabilités, ce
père qui a choisi le silence par peur du scandale qui aurait pu survenir s’il
avait soutenu sa fille, s’il avait aidé sa fille. « Les gens auraient
su » qu’un pervers existait au sein de sa famille … et qu’auraient pu
penser les gens ?
En 2002 je décide de questionner mon père à
propos de son silence. Je lui explique combien j’ai souffert dans tous les sens
du terme. Je lui explique aussi que je me sens « incomplète » car une
ordure m’a volé mon enfance, a fracassé mon innocence, que celle-ci est perdue
à jamais bien que je sois parvenue à recoller les morceaux. J’ose lui dire que
s’il m’avait aidée lorsque j’ai crié « au secours » je serais
probablement moins abîmée, mes cicatrices seraient plus lisses.
Il pleure
mais je ne suis pas émue. J’attends qu’il me dise qu’il va essayer de réparer, qu’il
va parler, qu’il va reconnaître qu’il n’a pas été à la hauteur … En vain, une
fois de plus il reste inactif. Il me dit simplement qu’il ne m’a pas entendue.
J’ai l’impression d’être une nouvelle fois violée ! Le dégoût
m’envahit : il n’est pas concevable qu’il ne m’ait pas entendue, il était
dans une telle colère lorsqu’il a quitté ma chambre qu’il n’a pu oublier ce que
je venais de lui révéler. De plus, mon grand-père lui a obligatoirement demandé
comment s’était passé l’entretien que nous venions d’avoir. Et me revient en
mémoire le fait que sa mère savait et je suis quasi certaine que c’est lui qui
l’en a informée. Donc si c’est lui qui lui a annoncé, c’est bien parce qu’il a
entendu mes révélations et qu’il s’en est souvenu !!!
Mon
analyse avec mon thérapeute se termine un an plus tard, je ne suis pas réparée
en intégralité et je poursuis la thérapie.
En 2006 j’organise une réunion chez mes
parents où je convie le frère et la sœur de ma mère. Je raconte les violences
que m’a fait subir leur père. Ma mère et ma tante sont abasourdies, je ressens
que ma tante ne me croit pas.
Mon oncle,
dont je suis très proche, me dit qu’il sait que je dis vrai et nous révèle que
son ordure de père avait été suspendu de ses fonctions pour attouchements sur
mineur. Bien évidemment personne n’était au courant.
Ma tante,
bien que suspicieuse me demande pourquoi je n’en ai pas parlé avant. Mon père
avoue que je l’ai dit en mai 1970 mais qu’il ne m’a pas entendue. Personne ne
réagit et je fais de même …
Il m’aura fallu attendre 39 ans pour dénoncer
ce criminel à ma famille … Cela
n’a rien changé car l’auteur des faits étant décédé et je n’avais plus la
possibilité de me confronter à lui.
Les années
passent, je poursuis ma thérapie car il me faut maintenant parvenir à accepter
de ne pas avoir été aidée, épaulée, protégée par ceux qui ont préféré étouffer
les faits lorsque je les ai énoncés alors que j’étais encore enfant. Je ne sais
pas à qui j’en veux le plus : le criminel ou celui qui s’est tu ?
Personne
ne peut comprendre que l'inceste est un poison contre lequel il n’existe pas d’antidote,
que j’ai parfois l’impression de vivre dans un monde parallèle, avec ce
traumatisme qui continue d'être actuel, même 50 ans après.
Il m’a été
bien plus facile de combattre et vaincre le cancer dont j’ai été atteinte en
2011. J’ai gagné, seule, car le père de mon fils, jugeant probablement que la
maladie n’était pas suffisante, a cru bon de m’assigner en divorce après la
première séance de chimio. Je suis fière d’être parvenue à mener ces deux
batailles simultanément ! Oui j’en suis sortie plus forte, plus combattante.
Aujourd’hui
je vis bien, je sais détourner ces souvenirs qui viennent me tourmenter
parfois, bien qu’enfouis au plus profond de mon esprit, je m’y suis accoutumée.
Je peux accepter beaucoup, tout entendre sans
porter jugement mais je ne tolère pas le mensonge