Une douleur toujours présente...
A l'époque, les gendarmes ne l'ont pas crue. Le Juge d'Instruction non plus... Pourtant, la douleur est toujours omniprésente...
"Je n'en peux plus d'entendre la
moindre information à propos de harcèlement ou d'agression sexuelle ou de
viol....cela remue énormément mon passé, la moindre information me donne
envie de pleurer, la moindre violence, même verbale, me donne envie de
pleurer. Je croyais avoir suffisamment parlé avec les psy (le premier était
un homme, le premier a avoir un regard compatissant d'ailleurs, mais il
trouve le moyen de vous dire que vous réagissez bien : " que
ressentez-vous contre cet homme? et moi de répondre : "je pense qu'il
est malade" et " je ne pense pas que la prison est la solution,
encore moins la peine de mort", comme mon père le pensait).
Puis deux ans plus tard lorsqu'on
ressent à nouveau le besoin de se faire aider, un autre psy, encore un
homme, qui ne parlait pratiquement pas m'a dit une fois : "vous l'avez
bien cherché, non ?" Cherchait-il à faire exulter ma colère? elle
n'est jamais vraiment sortie, cette colère, si ce n'est contre
moi-même, je me suis droguée et puis j'en suis sortie.
Je ne savais que penser de cet homme
venu d'un autre pays, peut-être du Maroc ou de l'Algérie, comme beaucoup de
parents de mes copines de l'école qui vivaient dans ce quartier nord de la
ville d'X ; ce ghetto où les
"arabes" n'étaient pas mélangés au reste des habitants de X... Je
ne suis pas raciste, mais je ne suis pas non plus hypocrite, j'ai peur
parfois, parce que les hommes me font peur et puis les religions me font
peur quelles qu'elles soient. Cet homme était sorti nu, juste avec une
veste en jean, il a eu le temps de prendre son arme et sa voiture pour me
suivre et me faire une queue de poisson alors que je roulais à vélo
devant les tours du quartier nord.
Et en même temps, je me dis
:"enfin! la parole se libère, on en parle, et les adolescentes
d'aujourd'hui sont en train de prendre conscience du long travail à faire
pour que les comportements changent, changeront-ils un jour? je n'ai pas
les muscles d'un homme pour me défendre. Je suis très amère, je n'ai
évidemment plus confiance en l'être humain... Je ne vais pas bien après
tout ce temps, je me sens sale, laide et stupide. J'ai deux enfants,
un mari qui me domine, me bât parfois. Je survie comme je peux et j'ai
encore honte. Honte aussi de ne pas savoir inculquer à ma fille et à mon fils
comment se défendre, comment leur donner cette assurance que je n'ai pas,
comment lutter contre le sexisme et l'éducation encore trop paternaliste et
sexiste.
J'ai été victime d'un viol sous la
menace d'une arme à feu, par un homme qui avait du mal à bander, ou qui
l'avait trop petite? je n'étais pas une experte mais cela avait l'air
d'être difficile pour lui de gérer ce stress. Ni les gendarmes, ni le
juge d'instruction ne m'ont crue, car j'avais à l'époque un petit ami avec
qui je venais de découvrir l'amour et les relations sexuelles, et ce dans
le plus grand respect de l'autre et le plus grand bonheur. Mais si on ne
m'a pas crue c'est parce que j'avais peur de la réaction de mon père, et
que j'ai voulu cacher ma relation avec mon petit ami.
La honte est alors doublement lourde à
porter, et la culpabilité qui s'ajoute à celle de notre éducation
chrétienne, qui n'empêche pas mon père d'être pervers avec ses propres
enfants.
les gendarmes (deux hommes) m'ont
écoutée mais m'effrayaient car ils étaient des hommes ! évidement ils ont
très vite compris mon envie de cacher les choses et du coup remettaient en
question mes propos. c'est leur travail ?
Avec un pistolet sur la tempe, on ne
cherche pas à se défendre, on veut vivre, pourtant on a le temps de se
poser la question: ne préfères-tu pas mourir? et on imagine tout ce qui va
arriver... on croise une voiture et on n'ose même pas faire signe, pourtant
cette femme a bien dû voir que j'avais un pistolet (ou un revolver, je n'en
sais rien) sur la tempe tenu par un homme qui conduisait en même temps.
Ouvrir la portière et sauter? attraper le volant et provoquer un accident,
se défendre, se défendre, comment? crier? il n'y avait plus personne
sur cette petite route à la sortie de la ville.
J'ai été entendue donc par deux
gendarmes, puis ils ont tendu le procès verbal à mon père et quand nous
sommes arrivés à la maison, mon père m'a criée dessus :"maintenant
j'ai la preuve que tu n'es plus vierge". j'aurai préféré mourir sous
les balles ou sous les coups de ce type. Et puis, il y a l'examen génital,
un homme encore une fois, juste une infirmière pour me demander de la
suivre et de me déshabiller (à nouveau!). Tout cela sur un ton très froid,
aucun regard accueillant ou bienveillant, pas un mot d'explication,
je n'ai pas été blessée physiquement; quelle erreur ai-je faite?
Le juge d'instruction ne m'a pas crue,
même si mes sœurs ont protesté. Je n'avais pas assez de détails à fournir,
je ne savais pas reconnaître une marque de voiture, et surtout j'ai voulu
cacher que je n'étais plus vierge, et que la veille…. Affaire classée.
Cet été, je suis allée porter plainte
contre mon mari qui m'a frappée ainsi que ma fille. il a été convoqué...il
ne nous a pas laissé de traces de coups, mais il a dit quand il s'est enfin
arrêté : "je suis assez intelligent pour ne pas vous laisser de
traces, et tu peux aller porter plainte, j'ai de quoi dire
contre toi"...le gendarme qui l'a reçu était un différent de celui et
de celle que j'ai vu avec ma fille; ce gendarme a osé lui dire :
"méfiez-vous de votre femme et encore plus de sa fille qui peut porter
plainte contre vous pour agression sexuelle."
Je
ne crois pas que nous ayons mérité cela."